Le Point - « Il y a aujourd’hui un vrai risque de rupture de confiance avec le Royaume-Uni »


Alexandre Holroyd, député des Français du Royaume-Uni, s’inquiète des tensions qui naissent sur l’application défectueuse de l’accord post-Brexit. Entretien.

Peu à peu, les relations s'enveniment entre l'Union européenne et Londres. Aux premières loges, Alexandre Holroyd, député LREM des Français de l'étranger, dont la circonscription couvre le Royaume-Uni (mais aussi l'Irlande, la Scandinavie et les Pays baltes), observe les difficultés de mise en œuvre de l'accord de partenariat post-Brexit.

Expert des législations européennes auxquelles il s'est frotté, à Bruxelles, dans sa vie professionnelle antérieure de consultant, Alexandre Holroyd pose un constat : la confiance est sapée, la situation nord-irlandaise, dangereuse. Mais l'UE doit aussi apprendre à ne pas s'enfermer dans un modèle de régulation trop rigide avec ses partenaires.

Le Point : Depuis l'entrée en vigueur de l'accord de partenariat avec le Royaume-Uni, Londres n'applique pas les contrôles sanitaires et phytosanitaires en Irlande du Nord. Quelle est votre appréciation du problème ?

Alexandre Holroyd : Il y a aujourd'hui un vrai risque de rupture de confiance avec le Royaume-Uni puisque celui-ci refuse de mettre en œuvre les mesures auxquelles il a souscrit dans l'accord commercial, notamment en ce qui concerne la frontière en Irlande du Nord. C'est d'autant plus surprenant qu'il s'agit d'un accord négocié et ratifié par le Premier ministre britannique actuel, avec sa majorité actuelle. Cet impératif établi, il faut convenir que des difficultés techniques peuvent exister et que nous, Européens, avons un devoir moral de travailler avec les Britanniques pour essayer de trouver des solutions pratiques et réalistes au regard de l'histoire de l'Irlande du Nord et du contexte actuel particulièrement tendu. Nous pouvons le faire, mais la confiance est essentielle et toutes les décisions prises de façon unilatérale par les Britanniques sapent cette confiance. À ce jeu, nous serons tous perdants, à commencer par l'Irlande du Nord. 

Sur l'Irlande du Nord, y avait-il moyen de trouver un arrangement plus souple ?

Nous avons aujourd'hui un arrangement sur l'Irlande du Nord. Celui-ci a été voulu, négocié et ratifié par les Britanniques et l'Union européenne et doit être mis en place et respecté par les deux parties. Cela dit, il serait incongru et dangereux de ne pas prendre en compte la situation très particulière en Irlande du Nord. Aujourd'hui, les tensions qui s'y manifestent témoignent que malgré l'accord du Vendredi saint de 1998 qui a permis 25 ans de paix, celle-ci reste fragile. S'il n'y a plus de flamme, il faut garder à l'esprit que certaines braises restent incandescentes sous les cendres. Il est donc impératif de faire preuve de souplesse et de flexibilité dans la mise en œuvre de l'accord. Il est hors de question de « déraciner » l'accord, mais nous nous devons d'être roseau plutôt que chêne. Pour que ceci fonctionne, il n'y a qu'une solution : un dialogue permanent, exigeant et basé sur la confiance entre Britanniques et Européens au niveau de la mise en œuvre.

Il y a eu des cas de ressortissants européens placés en détention par les autorités anglaises. En tant que député des Français de l'étranger, avez-vous eu à connaître de pareils cas s'agissant des Français ?

J'ai pris connaissance de ces faits par la presse, mais à ce jour, je n'ai pas été sollicité par des Français dans ce cas. Je me saisirai immédiatement de tout dossier porté à mon attention. La question de la protection des droits des citoyens français vivant au Royaume-Uni a été au cœur de mon action de député, dès le début mon mandat. Je l'ai portée auprès du président de la République, du Premier ministre, du négociateur européen, des ministres des Affaires étrangères, de l'Europeet chargé des Français de l'étranger et à l'Assemblée nationale. Aujourd'hui, trois éléments me paraissent essentiels.

Premièrement, nous devons nous assurer que les Français vivant au Royaume-Uni ont fait la démarche obligatoire qui leur permettra de garder tous leurs droits avant le 30 juin (le settled status). Deuxièmement, nous devons trouver avec les Britanniques un cadre juridique permettant à ceux qui n'ont pas été en mesure de faire cette démarche pour de bonnes raisons dans les temps impartis de faire valoir leurs droits. Troisièmement, nous devons être très clairs sur le fait que les accords négociés avec l'Union européenne forment un tout et que le respect des droits des citoyens est l'une des conditions de garantie de l'ensemble, notamment des dispositions commerciales.

La première bataille menée par Boris Johnson a été celle des vaccins. Beaucoup de commentateurs ont souligné qu'il avait gagné son pari, celui de la prise de risque et de la vitesse. Mais face au variant indien qui, désormais, menace les Britanniques, peut-on toujours dire qu'il avait raison ?

Je ne crois pas qu'il y ait de gagnants dans cette histoire. Le Royaume-Uni a indéniablement réussi sa campagne de vaccination de façon remarquable. Je m'en félicite particulièrement parce que celle-ci concerne également nos concitoyens vivant au Royaume-Uni, qui ont été durement éprouvés par une gestion de l'ensemble de la crise qui a été source d'inquiétudes. Il y aura certainement des enseignements à tirer des différentes campagnes de vaccination après la crise et les choix du Royaume-Uni devront être étudiés à cette aune. Il y a, cela dit, une réussite britannique qui doit nous pousser à la réflexion : l'efficacité avec laquelle son système universitaire et le secteur privé ont collaboré pour développer, produire et distribuer un vaccin rapidement.

Après les élections locales en Écosse, avez-vous le sentiment que le sujet de l'indépendance écossaise se posera avec acuité pour Johnson ?

Le Parti national écossais (SNP) a fait de l'indépendance de l'Écosse la pierre angulaire de sa campagne électorale. Bien qu'ils n'aient pas obtenu une majorité au Parlement, ils ont reçu le plus grand nombre de voix et il ne fait guère de doute qu'ils comptent utiliser cette légitimité démocratique pour appuyer la demande de l'organisation d'un nouveau référendum sur l'indépendance. Cela dit, cette décision revient entièrement à la Chambre des communes et donc au Premier ministre. Aujourd'hui, il me semble peu probable que celui-ci cède et permette la tenue d'un tel référendum.

Le Royaume-Uni a rompu avec l'UE et la Suisse tourne le dos à l'accord-cadre avec l'UE. Au fond, l'Europe n'a-t-elle pas un problème à se positionner vis-à-vis de ses voisins ?

L'accord avec la Suisse est une problématique bien différente du Brexit. Il me paraît cependant indéniable que ces événements nous imposent un travail d'introspection. La politique étrangère a été le parent pauvre de la construction européenne. Ce délaissement se traduit par une doctrine qui a du mal à s'émanciper d'une vision binaire des relations de voisinage articulées autour d'une seule question : le pays a-t-il vocation à accéder à l'UE ou non ? Or le cœur d'une politique étrangère mûre et sérieuse, c'est précisément la capacité d'avoir des relations individuelles et uniques avec de multiples partenaires. Des relations qui ne rentrent pas dans des cases prédéfinies.

Que cela soit vis-à-vis des Balkans, de la Suisse, de la Norvège, du Royaume-Uni, de l'Ukraine ou autres, l'Union européenne doit assumer la différenciation entre partenaires, produit inévitable du caractère extrêmement complexe d'une relation avec des États. Le président de la République s'est engagé dans cette voie d'abord en poussant pour un renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune européenne au travers d'un nouveau traité de défense et de sécurité créant le Conseil de sécurité européenne. Dans les années qui suivent et tout particulièrement lors de la présidence française du Conseil européen au premier semestre 2022, il convient de continuer à renforcer la politique étrangère européenne notamment au travers d'un enrichissement de son approche en matière de voisinage.


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